Lors de toute analyse métabolique (analyse systémique des flux et des stocks) d’un territoire, la première question posée est : Quelles sont les limites (spatiales) du territoire considéré ?
Vouloir répondre à cette question, ce n’est pas juste faire plaisir aux personnes qui effectuent ces analyses. C’est également souligner des questions de pouvoir et de responsabilités. Où s’arrête une ville/territoire, veut également dire où s’arrête la juridiction d’un mandat politique mais aussi où s’arrête l’entendue des efforts à fournir pour la transformation écologique et juste des territoires.
En d’autres mots, nous pouvons choisir d’internaliser ou externaliser des enjeux écologiques et sociétaux en fonction de notre choix de limites territoriales.
Mais choisir une limite territoriale implique également (de manière implicite), une certaine vision ou définition de la ville. Définir une ville est un exercice très délicat que je ne vais pas tenter de solutionner aujourd’hui. Mais dans tous les cas nous pouvons partir du postulat (simpliste ?) qu’une ville existe parce qu’une accumulation (au début agricole) a été possible. Cette accumulation souligne un déséquilibre entre territoires (urbains et ruraux ou industriels) et personnes/métiers (producteurs et consommateurs).
Pour info : EUROSTAT (l'office statistique de l'Union européenne) définit les villes comme une unité administrative locale où la majorité de la population vit dans un centre urbain d’au moins 50 000 habitant.e.s. Mais Eurostat propose également d’autres définitions. Par exemple, Aire Urbaine Fonctionnelle qui est composée d’une ville et de la zone où habitent les navetteurs (carré de droite).
Vous pouvez vous imaginer que si vous prenez l’Aire Urbaine Fonctionnelle comme limite spatiale, vous allez inclure beaucoup plus d’émissions liées au transport (personnel et de marchandises) mais aussi des flux de construction plus importants car le foncier est plus disponible en périphérie.
De façon tentative, je propose ici 4 différents types de limites des villes :
Limites administratives strictes : il s’agit des limites administratives communales, municipales, etc. Ces limites sont les directement corrélées au niveau de compétences d’une mairie.
Limites métropolitaines : il s’agit ici des mêmes limites admininstratives que plus haut mais dans certains cas et certains pays (par ex. la France), les métropoles sont des intercommunalité avec des compétences propres (par exemple la fiscalité, la gestion de l’eau et des déchets), d’autres fois cette dénominiation est juste un ‘titre superficiel’.
Limites fonctionnelles : comme définies par Eurostat, les limites fonctionnelles incluent la ville et son bassin d’emploi. Une définition géographique est un peu plus délicate (définition soit via un % de personnes vivant des dans des communes avoisinantes mais employées dans une ville ou un % de continuum de bâti).
Limites d’empreintes : cette limite est bien plus fictive mais reste cruciale. Il s’agit ici de l’influence implicite et explicite d’une ville vers d’autres territoires via ses politiques, pratiques de consommations, etc. Il s’agit par exemple de tous les endroits où les villes puisent (in)directement pour satisfaire leurs besoins en ressources (premières, semi-manufacturées ou manufacturées) ainsi que les émissions associées à cette mobilisation de ressources.
D’autres limites pourraient également être considérées, limites d’influence financière, limites géopolitiques, limites biorégionales, etc.
🧩 Limites spatiales : un véritable casse-tête ?
Pour conclure cette partie sur les limites spatiales, je voulais souligner une dernière fois l’importance de celles-ci. En fonction de si vous choisissez la limite administrative, fonctionnelle ou d’empreintes vous allez avoir un multiplicateur plus ou moins important des flux consommés ou émis.
Dans cet article, nous avions estimé les flux énergétiques, d’eau, de matière et de GES de Bruxelles. Sur la gauche des pointillés vous pouvez lire quantité mesurée si nous choisissons la limite administrative. A droite des pointillés il s’agit des limites d’empreintes (on consomme/émet 3 à 4 fois plus d’énergie, matière, GES et 36 fois plus d’eau à l’extérieur des limites bruxelloise qu’à l’intérieur).
Du coup, si Bruxelles voulait réellement réduire son impact environnemental, les efforts requis seraient du simple au triple (ou x36 pour l’eau) en fonction des limites choisies. Vous voyez qu’en termes de justice climatique ce n’est pas anodin.
📚 Un article pour approfondir
Pour conclure, je voulais partager avec vous la notion d’urbanisation planétaire développée par Neil Brenner et ses collègues. Cette notion met en avant que la frontière entre urbain et non-urbain est à présent très floue. Qu’un champ de soja au Brésil est d’une manière également un fait urbain. Pour en savoir plus sur ce concept je vous propose un article et ma conversation avec Neil Brenner et Nikos Katsikis dans une section plus bas 👇
💾 Des données pour explorer
Pour explorer plus en détail cette question de quantification des flux en fonction de la limite spatiale choisie, je vous propose de regarder la base de données de UNEP/PNUE. En choissant Domestic Production vs Consumption Footprint vous pouvez voir la différence entre limites administratives et limites d’empreintes respectivement.
📺 Des épisodes de podcast à regarder / écouter
Planetary Urbanization and Operational Landscapes (Podcast with Neil Brenner and Nikos Katsikis)
Comprendre les Transitions Ecologiques de Villes ? (Podcast avec Sabine Barles)
📆 Un événement à ne pas rater
Du 6 au 8 Juin, le Congrès de l’ASTEE va se tenir à Nice. Ce congrès se focalisera sur le métabolisme territorial et j’y serais pour présenter les résultats d’un projet. N’hésitez pas à me faire signe si vous y allez également.
💬 Continuez la discussion
Voici la fin de ce deuxième article. Vous en avez pensé quoi ? N’hésitez pas à partager vos pensées en laissant un commentaire ici, ou en m’envoyant un mail directement. Si vous voulez m’aider, partagez cette newsletter avec vos collègues ou proches en appuyant le boutton ci-dessous.
A la semaine prochaine ✌
Aristide
ps. Vous êtes plus d’une centaine à vous intéresser à ces sujets, c’est génial !