📈 Pour un Vocabulaire de la Transition
Depuis quelques années nous entendons le mot Transition dans toutes les sauces. Transition Energétique, Transition Ecologique, Transition Socio-Ecologique, …
En France, il existe même deux (!) ministères (Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et Ministère de la Transition Energétique) avec le mot Transition dans l’intitulé. Au passage, c’est quand même étonnant de les séparer, non ?
Mais qu’entendons nous par transition ?
📚 Transition : une définition
C’est un mot valise qui peut cacher beaucoup de subtilités qui seraient important de détailler, décortiquer, ou tout simplement définir. De manière simple, nous pouvons définir la transition comme un passage d’un état (stable) vers un autre. Ceci est facilement imaginable quand nous pensons la transition de l’eau d’un état solide vers un état liquide ou gazeux.
Par contre, quand on parle d’un système socio-écologique (par exemple un territoire ou une ville), qu’est-ce qui décrit un état ? Qu’est-ce qui décrit un état stable (en existe-t-il un ?) ? Existe-t-il des phases ou éléments fondamentaux pour qu’une transition s’opère ? Quand pouvons nous acter qu’une transition a été effectuée ? Et pouvons nous de manière théorique prévoir voire orchestrer une transition ?
Pour aborder cette notion complexe, je vous propose de donner quelques définitions puis un exemple. Dans le graphique ci-dessous, certaines composantes d’une transition (empruntées des transitions des systèmes écologiques) sont illustrées dans la Figure 1 :
Signaux d’Alerte Précoces (Early Warning Signals) : Série de signaux qui annoncent qu’un changement significatif pourrait se produire à faible ou grande probabilité. Par exemple, une fréquence élevée de canicules peut être un signal d’une perturbation de plus grande ampleur ou chronique.
Déclencheur (Trigger) : Elément déclencheur qui initie un processus de transition. Par exemple, une pénurie de bois peut être l’élément déclencheur pour introduire le charbon comme vecteur énergétique principal.
Point de Bascule (Tipping Point) : Un point de bascule survient lorsque un faible changement (d’une quantité d’un flux de consommation ou de pollution) entraîne une réponse forte et non-linéaire. Par exemple, une fois la pollution d’un lac dépasse un certain seuil, toute la vie du lac peut s’éteindre d’une manière abrupte et (quasi)irreversible.
Transition : ensemble des processus qui bascule un système d’un état (stable) vers un autre état (stable).
Figure 1 : Composantes d’une transition d’un système socio-écologique (avec le temps en absisses et un flux de ressource ou de pollution en ordonnées)
Comme visible dans la Figure 1, nous pouvons ainsi percevoir la durée d’une transition ainsi que certaines composantes. Cette figure est peut-être vraie pour certains systèmes écologiques (par ex. un lac) “simples”. Mais pour des systèmes socio-écologiques complexes, elle simplifie extrêmement les dynamiques et relations spatiotemporelles ainsi que l’interaction entre les dimensions environnementales, sociétales et technologiques (pour en noter que trois). Comme on le voit dans la Figure 2, une transition socio-écologique est l’ensemble de transition des sous-dimensions qui elles mêmes ont différentes dynamiques, et qu’un déclencheur d’une dimension peut avoir des répercussions sur d’autres dimensions.
Figure 2 : Dimensions d’une transition d’un système socio-écologique
🏙 Transition : un exemple
Afin d’éplucher cette complexité, je vous propose d’étudier l’évolution de la consommation énergétique de Paris du XVIIIè siècle à aujourd’hui grâce à l’incroyable article d’Eunhye Kim et Sabine Barles (Kim et Barles 2012).
Dans cet article nous pouvons découvrir plusieurs transitions énergétiques du système socio-écologique “Paris”. Par exemple, la consommation énergétique de Paris avant le 19ème était basée à 100% de bois (bois de chauffage, à brûler et charbon de bois). Il a fallu environ 50 ans pour le charbon devienne le vecteur énergétique principal. Il a fallu par la suite environ un siècle pour que les combustibles fossiles (autres que le charbon) représente ensemble plus de 50% du mix énergétique (avec une disparition complète du bois). Cinquante ans plus tard, l’électricité et la chaleur représente 50% du mix énergétique parisien.
Figure 3 : Consommation d’énergie finale à Paris de 1730 à 2000 (en GJ/cap/an). Source (Kim et Barles 2012).
Ce graphique nous apprend beaucoup de choses et en cache bien d’autres. Par exemple, nous pouvons lire que les transitions (que nous pouvons décrire ici comme le passage d’un vecteur énergétique principal à un autre) ont pris au minimum 50 ans. Nous pouvons voir également que certains vecteurs en remplacent d’autres, tandis que d’autres s’accumulent. Ceci n’est évidemment pas une fatalité mais nous donne une idée empirique.
Cependant, cette perspective macro de la transition énergétique cache des subtils jeux d’acteurs et de pouvoir qui sont visibles lorsque nous déclinons cette transitions sous les trois dimensions (environnementales, sociétales et technologiques) susmentionnées.
Comme on l’apprend dans l’article, autour du 18ème, le prix du transport routier du bois de chauffage et de charbon de bois était “prohibitif”. Ainsi le bois était acheminé par la Seine en bateau depuis environ 200km de Paris (Morvan). Le gel de la Seine durant la fin du 18è couplé avec une pénurie de bois depuis la moitié du 18è et le début du 19è étaient des signes avant-coureurs d’une transition (déclencheur). L’approvisionnement énergétique étant la responsabilité de la commune de Paris, un réarrangement du paysage énergétique s’est initié au début du 19è.
Pour approvisionner Paris en charbon un changement structurel dans les zones et les modes d’approvisionnement a du s’effectuer. Bien que l’étendue de la zone d’approvisionnement n’a pas drastiquement évoluée, le lieu à basculer vers les bassins miniers (stéphanois et lillois). Concernant le mode d’approvisionnement, une bascule vers le rail s’est initié dans les années 1830 pour quasi remplacer le fret fluvial dans la moitié du 19è. Cette bascule opérée par les pouvoirs publics et des investisseurs privés semble avoir été possible lorsque l’infrastructure du charbon (construite en parallèle) a pris plus de place et d’investissement que l’infrastructure du bois.
Durant le 19è siècle, la transition bois/charbon a quasi été complète. Cependant, ce qui est suprenant c’est que la consommation par habitant est restée stable pendant plus d’un siècle. Bien que les usages et que la démocratisation de la consommation énergétique se multiplient et augmente, des gains d’efficacité considérables (par de diverses technologies) voient le jour. C’est uniquement après la Seconde Guerre Mondiale et la généralisation des autres combustibles fossiles que la consommation par personne augmente considérablement (environ x4 en 50 ans).
🌍 Transition : une conclusion
Ainsi à travers de cet exemple, nous commençons à gratter la surface des interactions entre les différentes couches (technologiques, d’infrastructures, d’acteurs économiques et publics, d’habitudes de consommations, de géopolitique, etc.) de transitions qui sont nécessaires pour basculer le système socio-écologique Paris d’un état de consommation d’énergie vers un autre.
Mais il est assez difficile de définir précisément lorsqu’une transition a commencé et lorsque elle est finie. C’est surtout possible en retrospective et très peu en prospective.
Une autre grande question dissimulée est l’échelle (spatiale) des transitions. La transition énergétique de Paris de la Figure 3 cache d’autres dynamiques au niveau mondial. En effet, bien qu’à Paris le bois de chauffage et le charbon ont disparu au niveau mondial leur part ne diminue pas voire augmente (Figure 4), avec des taux de progression très différents (voir partie basse de la Figure 4). Ainsi au niveau mondial, il est difficile de parler de transition totale (voir également l’épisode de Jean-Baptiste Fressoz dans la section suivante) mais plutôt d’une accumulation.
Figure 4 : Consommation d’énergie primaire par vecteur de 1800 à 2021 (en TWh). Source (Our World in Data)
Pour conclure, j’espère que par cet article, vous commencez à complexifier la question à quoi ressemble une transition par des éléments fondamentaux d’une transition : temps de la transition, échelle de la transition, espace de la transition, une transition pour qui, une transition par qui, …. Une chose est sûre, une transition ou une transformation radicale est nécessaire et pour accélérer le point de bascule, nous devons jouer sur tous les leviers simultanément.
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Aristide