Aujourd'hui, nous allons parler d'un schéma qui m'a pris vraiment beaucoup de temps à comprendre1.
Cela fait environ 13 années que je fais des recherches pour comprendre et mesurer l’impact environnemental des villes et des territoires. Au fur et à mesure, j’ai appris à mesurer les flux de ressources et de polluants des villes ainsi que les stocks matériels des villes (le bâti).
Puis petit à petit, à force de lire le travail d’autres chercheurs et chercheuses; j’ai compris que juste mesurer les flux et les stocks des villes ne suffit pas pour résoudre nos enjeux socio-écologiques (vous allez me dire que c’est évident, mais j’étais un ingénieur naïf).
Pour approfondir mes connaissances et sortir de ma myopie ingénieur, j'ai interviewé plus de 115 chercheur.euses sur le podcast Circular Metabolism.
Toutes ces lectures, ces rencontres, ces discussions avec des chercheur.euses, pourraient se synthétiser dans un schéma que vous pouvez voir sur la vidéo ci-dessous et que nous allons décortiquer ensemble.
En quelques mots, ce schéma présente des flux (F), des infrastructures ou stocks (I) et des besoins (B), ainsi que des flèches bi-directionnelles entre ces parties.
Lisons ce schéma de gauche à droite.
Flux <=> Infrastructures
Nous voyons que pour construire des stocks ou des infrastructures nous avons besoin de flux. Pour construire une centrale à charbon nous avons besoin de béton et d’acier. Mais une fois construites ces infrastructures nous font consommer des flux, elles sont les facilitateurs de flux.
Ici nous avons décrit les deux flèches reliant les flux et les infrastructures. A ce stade il serait important de parler de dimensionnement d’infrastructures et de verrouillage.
Le dimensionnement d’infrastructure va entrainer la quantité de flux utilisés pour la construction de l’infrastructure mais aussi la quantité de flux que l’infrastructure nous permet de consommer par la suite. Plus l’infrastructure est grande, plus on consommera des flux.
La taille et le type d’infrastructures nous verrouillent également à plus ou moins consommer tant durant sa phase d’utilisation que de maintien.
Durant sa phase d’utilisation, un incinérateur nécessite un flux constant de déchets pour fonctionner à régime optimal. Dès que nous essayons de réduire nos déchets, les incinérateurs vont se retrouver à fonctionner en sous-régime. C’est le cas de l’incinérateur de Copenhague qui nécessite d’importer des déchets des pays voisins car les habitant.es ont réduit la quantité de déchets générés. Nous sommes ainsi verrouillés à produire plus pour satisfaire des infrastructures surdimensionnés.
Un point important sur le dimensionnement des infrastructures est le maintien et la rénovation. Nous nous focalisons souvent à ne pas construire de nouvelles infrastructures mais nous oublions souvent que la maintenance des infrastructures existantes est responsable d’une quantité considérable. Dans cet article2, nous pouvons voir qu’au niveau européen le maintien du stock consomme plus la construction de nouveau stock.
Infrastructures <=> Besoins
Mais la dernière pièce du puzzle qui me manquait pendant toutes ces années, c’est la notion des besoins.
Lorsque j’étudiais les stocks et les flux, je regardais à quel secteur d’activité ils étaient liés (le résidentiel, les transports, …) mais je ne me posais jamais la question de quels besoins étaient satisfaits par les flux et les stocks. Et qui a choisi que ces besoins devaient être satisfaits ?
La question de la définition d’un besoin est déjà difficile par-elle même. Qu’est-ce qu’un besoin et est-il universel ?
Pour répondre à cette question, je vous propose de lire le livre de Razmig Keucheyan et Cédric Durand (que j’ai interviewé sur le podcast). Mais de manière générale nous pouvons dire qu’un besoin universel est un besoin qui peut-être satisfait par tou.tes et que la satisfaction par tout le monde ne dépasse pas les limites planétaires.
Cette question des besoins introduit la thématique de justice sociale et environnementale. Est-ce que les infrastructures et les flux sont partagés de manière égale à tou.tes ?
Par ailleurs, est-ce que ce besoin est nécessaire, décent voire ostentatoire ?
Idéalement, nos infrastructures devraient répondre à nos besoins essentiels (se loger, se déplacer, …). Mais le problème est, qu’au lieu de se questionner sur la taille nécessaire pour satisfaire le besoin de se loger (c’est à dire combien de m² sont nécessaires) ou de se déplacer (combien de km nous avons besoin de nous déplacer), nous pensons plutôt à combien d’isolation nous devons mettre ou si nous devons plutôt avoir des véhicules électriques individuels ou collectifs.
Aujourd’hui nous prenons le problème trop souvent à l’envers. Nous considérons qu’il faut toujours plus (3G, 4G, 5G, …) et nous essayons de rendre les infrastructures les plus efficace pour répondre à un besoin fictif. Chemin faisant, nous nous adaptons à ce nouveau seuil de service rendu et nous construisons de nouvelles infrastructures qui nous verrouillent à avoir toujours plus de besoins et qui nécessitent toujours plus de flux.
C’est ainsi que nous pouvons comprendre les deux flèches allant des infrastructures vers les besoins dans le schéma. Originellement, les infrastructures devaient répondre à des besoins mais aujourd’hui les infrastructures les dictent de plus en plus.
Conclusion
Ainsi, ce schéma résume pour moi la nécessité de comprendre :
le fonctionnement métabolique de nos territoires et nos sociétés, c’est-à-dire combien de flux on consomme et quelles infrastructures les facilitent.
La boucle de retroaction entre flux et stock de par le verrouillage et le dimensionnement des infrastructures.
La question de la justice environnementale et sociale s’éclaircie en introduisant les besoins et en articulant son lien avec les flux et infrastructures
Il existe une adaptation hédonique (notre niveau de besoins évolue dans le temps) et nous devons comprendre des seuils acceptables (tant au niveau écologique, d’équité et de passé colonial).
Le moyen le plus démocratique d’effectuer la transition écologique sera en définissant le plus petit dénominateur commun, les besoins. Les flux et les infrastructures correspondant et leurs niveaux de technicité et de (dé-)centralisation seront une prochaine étape de débat sociétal.
Voilà, cet article est déjà trop long pour lire sur votre téléphone ou ordinateur mais aussi trop court pour aller dans les détails. Si vous voulez approfondir, j’ai récémment écris un article sur la Gouvernance des territoires par le prisme du métabolisme territorial et mon livre devrait paraître en automne.
N’hésistez pas à me dire si vous parle et si vous pensez que je devrais intégrer d’autres éléments dans le schéma (par exemple dans la vidéo nous avons également parler de chocs externes qui viennent transformer nos flux et nos infrastructures).
Merci et à très vite 🙏
Aristide
Chapitres
00:00 Introduction au schéma
02:49 Mesurer les flux et les stocks des villes
06:09 Le verrouillage entre flux et infrastructures
11:51 Le dimensionnement des infrastructures et ses impacts
18:07 Les besoins et leur relation avec les infrastructures
26:20 Infrastructures et Gouvernance
27:45 Débat sur les Besoins Sociétaux
30:54 Consommation et Bien-être
33:20 Mobilité et Véhicules Intermédiaires
37:31 Justice Sociale et Environnementale
40:12 Démantèlement des Infrastructures
43:32 Économie Bas Carbone et Justice
46:45 Impact Climatique sur les Infrastructures
49:39 Besoins Essentiels vs Envies
Ce schéma est inspiré de cet article : O’Neill, D. W., Fanning, A. L., Lamb, W. F., & Steinberger, J. K. (2018). A good life for all within planetary boundaries. Nature sustainability, 1(2), 88-95.
N'est ce pas un peu simpliste de penser et croire qu'il suffit de demander à une société de définir ses besoins et de les satisfaire pour que tous les problèmes soient résolus. On sent bien que ça ne peut être aussi simple. Déja, comment se mettre d'accord sur les besoins, ceux du plus fort ou ceux du plus faible.
Les raisonnements sont souvent faits sur les moyennes et ne tiennent pas compte de la distribution et donc des extrêmes. Ces extrêmes se retrouvent dans tous les domaines. Aujourd'hui ce sont ceux qui veulent plus de puissance et de pouvoir (mafia comprise) qui dominent le monde et donc définissent les besoins pour l'ensemble de la population (drogue comprise).
Pour changer le monde, il faut trouver le moyen de supprimer les extrêmes des distributions, par exemple par des lois qui seraient défendues par le plus grand nombre.
C'est peut-être la dimension politique qui manque au schéma.
Merci pour votre podcast
Kathy